
Un monde en recomposition, des horizons à bâtir, par Marcelo Preto, gérant actions chez Mandarine Gestion. Dans un monde fragmenté, de nouvelles dynamiques s'installent, porteuses d'innovation, de souveraineté et d'élan.
Une guerre commerciale multipolaire
Alors que les tensions économiques entre les États-Unis et la Chine restent au cœur de l'attention géopolitique, une dynamique plus large et systémique s'installe à l'échelle mondiale. Depuis la présidence Trump, les États-Unis ont amorcé une rupture avec le multilatéralisme commercial.
La guerre tarifaire sino-américaine a ouvert la voie à un tournant protectionniste généralisé. Donald Trump a annoncé un programme de tarif universel de 10 % sur l'ensemble des importations américaines. Par ailleurs, le "Liberation Day" vise explicitement à réorganiser les chaînes de valeur vers les États-Unis sur une base politique plutôt qu'économique. Cette fragmentation croissante du commerce mondial
s'accompagne d'une multiplication des "mini-blocs" économiques. La logique des alliances économiques évolue désormais autour de considérations de sécurité technologique, de souveraineté énergétique ou encore de stabilité des approvisionnements critiques (ex. : terres rares, batteries).
Ainsi, ce « reshoring » stimule une vague de capex record, avec des gagnants dans les infrastructures (CRH, Martin Marietta, Quanta Services), les industriels (Caterpillar, Emerson), l'équipement électrique (Eaton, Schneider, ABB), et les chaînes-critiques des semi-conducteurs (Texas Instrument, Lam Research, KLA, Applied Materials). La guerre commerciale n'est donc plus une simple rivalité sino-américaine : elle devient une reconfiguration globale des flux, dans laquelle la coopération est subordonnée à des rapports de puissance. Le commerce devient un outil d'influence, et la politique industrielle, un instrument central dans la nouvelle géoéconomie multipolaire.
La guerre en Ukraine, catalyseur d'un cycle de reconstruction
La guerre en Ukraine a déjà causé plus de 500 milliards de dollars de dommages directs aux infrastructures selon la Banque mondiale, et les besoins de reconstruction sont estimés à plus de 1 000 milliards sur dix ans. Les secteurs les plus impliqués incluent le bâtiment (logements, infrastructures de transport), l'énergie (réseaux électriques, capacités de production), les télécoms et la santé.
Les entreprises du BTP (Vinci, Hochtief, Strabag), les producteurs de matériaux (Holcim, HeidelbergCement), ainsi que les équipementiers d'énergie (Siemens Energy, Schneider Electric) sont bien positionnés pour bénéficier de cette demande cyclique. Les États-Unis, qui ont engagé plus de 70 milliards d'aide depuis 2022, souhaitent aussi peser dans la reconstruction. Leurs entreprises (ingénierie, infrastructures, technologies duales) cherchent déjà à capter descontrats clés. L'Europe, de son côté, voit une opportunité stratégique : intégrer l'Ukraine pour sécuriser ses chaînes d'approvisionnement, notamment en métaux critiques. Mais la faible visibilité sur l'issue du conflit freine pour l'instant le déploiement effectif des plans.
Deepseek et l'éveil de l'écosystème IA en Chine
L'émergence de Deepseek, modèle open-source chinois performant développé avec des moyens limités, a relancé le débat sur la soutenabilité économique des investissements massifs consentis par les géants occidentaux (OpenAI, Meta, Google). Certains y voient un signal d'alerte : les rendements des LLMs (Large Language Models, grands modèles de langage) à grande échelle pourraient peiner à justifier les dizaines de milliards investis. Ce constat mérite toutefois d'être nuancé. Les hyperscalers continuent de déployer des budgets record (Microsoft 80 Mds $ en capex IA, Meta $68 Mds) et
bénéficient d'effets de levier uniques (cloud, puces, data, intégration produit) que les challengers nepeuvent égaler. La dynamique enclenchée par Deepseek n'est pas un renversement mais un élargissement : elle a agi comme un réveil en Chine, catalysant une mobilisation du secteur tech national (Alibaba, Tencent, ByteDance, Baidu) longtemps en retrait sur l'IA générative. Malgré les restrictions d'accès aux puces américaines, ces groupes ont réussi à entraîner des modèles
compétitifs, optimisés sur architecture locale. L'IA n'est donc plus un monopole transatlantique : elle devient un thème véritablement global, avec la Chine désormais pleinement engagée dans la course.
L'intelligence artificielle face au mur énergétique
Le déploiement massif de l'intelligence artificielle générative engendre une explosion de la demande énergétique. Microsoft prévoit d'investir 80 milliards de dollars sur un an pour construire de nouveaux centres de données dédiés à l'IA. Meta, de son côté, a revu à la hausse son budget d'investissement pour 2025 à 64-72 milliards de dollars, soit +83% par rapport à 2024.
Ces infrastructures, très énergivores, exercent une pression croissante sur les réseaux électriques à tel point que Microsoft a commencé à ralentir ou suspendre certains projets de datacenters, signalant une saturation locale et un besoin de rationalisation. Selon les projections de l'Agence Internationale de l'Énergie, la consommation électrique des datacenters mondiaux pourrait tripler d'ici 2030, en partie à cause des modèles IA, et dépasser celle de pays entiers comme le Japon ou l'Allemagne. Dans ce contexte, des gagnants émergent : les services aux collectivités (utilities), NextEra, Constellation, National Grid, les équipementiers (Vertiv, Schneider Electric) et les fournisseurs de processeurs graphiques comme
Nvidia. Par ailleurs, ce boom soulève aussi des défis de durabilité, de localisation des ressources et de coordination entre tech et utilities. L'IA ne redéfinit pas seulement les usages : elle redessine aussi la carte énergétique mondiale.
La renaissance du nucléaire
La montée en puissance de l'intelligence artificielle a bouleversé les équilibres énergétiques mondiaux, en créant une demande inédite en électricité bas-carbone, stable et abondante pour alimenter les centres de données. Face aux limites des énergies intermittentes comme les renouvelables et aux contraintes de réseau, le nucléaire revient sur le devant de la scène comme source d'approvisionnement stable décarbonée incontournable. Après plus d'une décennie de
désinvestissement, le secteur connaît un renouveau : les États relancent des programmes (États-Unis, France, Corée), les marchés revalorisent les acteurs existants et de nouveaux projets émergent autour du small modular nuclear (SMR). Le nucléaire coche toutes les cases : faible empreinte carbone, souveraineté technologique, production continue. Ce retour est aussi stratégique, dans un monde marqué par les tensions sur les approvisionnements énergétiques (Ukraine, Moyen-Orient, rareté du gaz). Comment jouer le thème ? Trois axes dominent : les acteurs technologiques tels que Doosan
Enerbility, GE Vernova, Rolls-Royce, NuScale ou Oklo ; les matières premières, avec l'uranium comme proxy direct (Cameco, Yellow Cake) ; et les fournisseurs périphériques et ingénierie comme Schneider Electric, EATON, Fluor ou SPIE. Ainsi, loin d'être un reliquat du passé, le nucléaire devient une clé de voûte de l'ère post-carbone.
A propos de Mandarine Gestion
Mandarine Gestion est une des principales sociétés de gestion françaises. Sa mission est de proposer à ses clients des solutions d'investissement innovantes qui contribuent au financement responsable et durable de l'économie. Gérant de conviction, la société offre une gamme complète de stratégies d'investissement en actions, obligations et multi-actifs. Basée en France, avec des bureaux en Suisse et en Allemagne, Mandarine est également présente en Autriche, BeLux, Italie, Espagne et dans les pays nordiques. Mandarine Gestion est membre du groupe LFPI, l'un des premiers gestionnaires d'actifs indépendants multi-stratégies en Europe.
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